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La réponse du Conseil fédéral à la première interpellation sur le spécisme est irrecevable

7 Jan 2021 | Communiqué web, Politique et droits des animaux

Le Conseil national a liquidé, le 18 décembre dernier, l’interpellation visant à lutter contre le spécisme. Cette intervention avait été déposée le 22 septembre par la Conseillère nationale Verte Léonore Porchet, sur initiative de la Coalition animaliste (COA), et cosignée par trois parlementaires. La COA juge très insatisfaisante la réponse du Conseil fédéral du 25 novembre à l’interpellation.

La COA demande notamment à ce dernier de corriger le tir en reconnaissant le caractère spéciste de la loi suisse sur la protection des animaux, d’envisager des premières modifications législatives sur la base des nouvelles connaissances scientifiques et d’adapter ses politiques publiques en tenant compte des enjeux très importants liés à la lutte contre le spécisme. Il devient en effet urgent de s’attaquer à ce fléau pour combattre les risques scientifiquement reconnus de nouvelles pandémies de zoonoses mortelles, la destruction de l’environnement et les effets du réchauffement climatique.

Analyse de la réponse du Conseil fédéral, point par point

Dans sa réponse, le gouvernement suisse a reconnu implicitement l’existence du spécisme, ce que la COA salue. Mais le département d’Alain Berset a préféré jouer avec les mots et affirmer que « la législation suisse sur la protection des animaux reposait sur une approche non spéciste », ce qui n’est pas acceptable. Dès lors que la loi permet des différences de traitement entre l’espèce humaine et les autres espèces animales justifiant leur l’exploitation, leur commerce et leur mise à mort, selon le principe qu’ils sont différents de nous tant au niveau des « caractéristiques » que des « aptitudes », elle est fondamentalement spéciste. La COA rappelle que la spécisme est une discrimination qui fonctionne selon les mêmes mécanismes que le racisme ou le sexisme. Elle demande donc au gouvernement suisse de reconsidérer son interprétation.
La coalition entend et salue le souci exprimé à deux reprises par le Conseil fédéral d’adapter la législation en vigueur sur la protection des animaux aux nouvelles connaissances scientifiques. C’est pourquoi elle l’invite à envisager sans tarder de reconnaitre légalement la « sentience » des animaux auxquels elle s’applique, en lieu et place de leur « dignité ». Car la notion de « dignité » est subjective et ne se réfère à aucune étude scientifique. A contrario, la notion de « sentience » a fait l’objet d’un consensus scientifique dans le cadre de la déclaration de Cambridge de 2012 sur la Conscience (Lien et vidéo). On y reconnait les autres animaux comme des individus sentients, soit conscients d’eux-mêmes et capables de ressentir des émotions, au même titre que les humains.
L’argument de la pesée des intérêts entre les humains et les autres animaux, sur lequel repose la loi suisse, permet dans la grande majorité des cas de faire primer des intérêts humains non vitaux, non essentiels ou non nécessaires, pour justifier l’exploitation d’animaux, leur imposer la mort et/ou des conditions de vies ne tenant pas compte de leur propre intérêt fondamental à vivre une vie heureuse et la plus longue possible. C’est notamment le cas des millions d’animaux dits « de rente », élevés et utilisés à des fins alimentaires et économiques sans nécessité. Il est de la responsabilité du gouvernement suisse et des gouvernements cantonaux de mettre un terme au massacre en cours par le biais de politiques publiques adéquates, telles que celles qui leur ont été proposées par la COA dans un livret intitulé « En route vers une sociéte suisse sans exploitation animale et cohabitant plus justement avec les animaux sentients / Orientations à prendre et actions à mettre en œuvre ».
Parmi les propositions de la COA dans ce document que le Conseil fédéral et les gouvernements cantonaux romands possèdent, il n’est pas question de mettre un terme à l’élevage des animaux dits « de rente » du jour au lendemain, contrairement à ce que la réponse à l’interpellation laisse entendre. Il est question de le faire de manière progressive et moyennant des mesures d’accompagnement. La COA tient donc compte des répercussions d’un tel changement sur la société et le secteur agricole en particulier. Par ailleurs, affirmer que l’abandon de l’élevage des animaux de rente n’est ni approprié ni réaliste ne repose sur aucune étude de faisabilité dans ce domaine.
Pour la COA, mettre un terme à l’élevage intensif en Suisse constituerait une première étape pertinente de lutte contre le spécisme. C’est pourquoi elle soutient pleinement l’initiative « Non à l’élevage intensif en Suisse ». Elle juge par contre insatisfaisant bien que progressiste le contre-projet du Conseil fédéral, dans la mesure où l’importation de denrées d’origine animale provenant de la maltraitance n’y est pas traité alors que cela demeure un problème grave. Par ailleurs, la notion d’« abattage respectueux » que le contre-projet intègre est irrecevable. La lutte contre l’élevage intensif en Suisse et dans le monde devrait constituer l’une des priorités du Conseil fédéral, face à la menace scientifiquement reconnue de zoonoses hautement mortelles.
Aussi, la COA réitère pour la troisième fois sa demande au Conseil fédéral de reconnaitre rapidement le lien entre la plupart des zoonoses dévastatrices que nous avons connues depuis le début du 20ème siècle, l’exploitation et la maltraitance animales, principalement à des fins alimentaires humaines. La non reconnaissance de ce lien empêche la mise en place d’une stratégie gouvernementale adaptée. Se limiter à pointer du doigt le rapprochement entre animaux sauvages et animaux domestiques/de rente comme le fait actuellement le département d’Alain Berset est insuffisant. L’urgence est à la remise en question des activités et des comportements humains vis-à-vis des autres animaux. La COA espère que le prochain rapport du Conseil fédéral visant notamment à identifier les causes des zoonoses pour mieux les combattre tiendra compte de cette nécessité (voir postulat 20.3469). L’approche « One Health » citée dans la réponse à l’interpellation ne s’attaque malheureusement pas à ce problème, puisqu’elle se concentre sur la détection précoce et le monitoring des maladies afin d’éviter leur propagation, notamment via des pratiques d’éradication d’animaux sains ou guérissables que la COA dénonce fermement.
Quant à la stratégie suisse actuelle de nutrition pilotée par l’OSAV et mise en avant par le Conseil fédéral, elle est nettement insatisfaisante au vu des enjeux sanitaires, environnementaux et sociaux liés à l’alimentation, dont les répercussions en termes de coûts pour la société sont faramineuses. Les problèmes posés par l’alimentation carnée et les produits d’origine animale n’y sont que trop peu abordés. Aussi, la COA demande prioritairement au Conseil fédéral d’aligner les recommandations nutritionnelles de l’OSAV à celles de l’OFEV, d’inclure dans les stratégies suisses de santé et de nutrition les problèmes générés par les zoonoses liées à l’alimentation humaine, d’imposer des conditions-cadres plus contraignantes aux acteurs économiques du secteur alimentaire, en matière de production, d’importation et de publicité/marketing, en lieu et place de formuler des recommandations que ces derniers peuvent ensuite librement appliquer ou non, selon le principe du volontariat et de l’incitation.
L’alimentation, et indirectement la santé de la population, ne devrait pas prioritairement dépendre du bon vouloir et des stratégie des entreprises du secteur alimentaire, en particulier des multinationales. En outre, la mise à disposition du public d’informations et de recommandations alimentaires devrait être rapidement mise à jour, comme par exemple la pyramide alimentaire suisse. Elle devrait en outre s’accompagner de campagnes de sensibilisation plus percutantes en vue d’une plus grande végétalisation. Il en va de la santé humaine, animale et de celle de la planète.